Accéder au contenu principal

Valhalla Rising



.
.. Autour de l'an mil un guerrier invincible, silencieux, et sans nom, est prisonnier d'un clan viking. Utilisé pour subvenir à la survie du clan,  il s'évadera et entreprendra un voyage jusqu'aux confins du monde


Tourné par Nicolas Winding-Refn juste  après Bronson, Valhalla Rising garde une approche sensiblement identique. Si Bronson nous racontait l'histoire du détenu le plus célèbre d'Angleterre au travers sa propre subjectivité. Ainsi l'esthétisme et la mise en scène du film étaient-ils le reflet de son paysage psychique.
Valhalla Rising adopte la même dynamique, le monde est vu au travers l'œil unique (et pour cause) d'un prisonnier (mais pas n'importe quel prisonnier, un dieu) mutique.

Le film commence en territoire connu, du free figth à la sauce viking. Il y a bien quelques visions surprenantes mais il faut attendre que One-Eye,  s'affranchisse de ses chaînes pour que nous quittions définitivement le monde des hommes pour entrer dans le territoire du symbolique.

Vous l'avez compris One-Eye, surnom donné au prisonnier par l'enfant qui va l'accompagner dans son périple est sans nul doute Odin. Ses visions et son œil manquant sont des indices évidents. On peut ainsi penser que ce dieu nordique est prisonnier des hommes depuis tellement longtemps qu'ils ont oublié qui il est. 
Si l'idée d'un dieu est un dieu, l'oubli progressif et la venue d'un dieu unique l'ont sérieusement affaiblit. On remarquera cependant que le clan utilise des runes pour le garder captif, gage d'une encore grande puissance.

Dans un premier c'est sous  l'apparence du Einhedjar, le combattant unique ; ou celle des fameux  Bersekir dont on nous dit dans l'Ynglinga Saga  qu'ils  partent nus au combat, sans armure ni cuirasse, simplement revêtus d'une chemise d'ours, enragé comme des fauves, mordant leur bouclier, tuant tout sur leur passage, massacrant bêtes et homme ; ni le fer ni le feu ne peuvent rien contre eux, ils sont invincibles, que nous apparaît Odin.

Certes, One-Eye ne porte pas de "chemise d'ours" mais la façon dont il est tenu par ses geôliers est particulièrement parlante, ainsi que la violence dont il fait preuve :


Il incarne  ici cet "état de transe, de fureur démesurée, quasi démente [...] qui dédouble ou multiplie ses possibilités, le rend capable d'exploits hors de portée du commun des mortels [..]".

Autre indice, lors de plusieurs entretiens Nicolas Winding-Refn parle de son film comme d'un "trip sous acide". N'oublions pas qu'en vieil islandais Odin est le passé de -od- du verbe vada qui signifie aller, dans le sens de quelqu'un qui est "parti" sous l'action de l'alcool ou d'hallucinogènes. Par ailleurs, le vieil anglais wod, signifie le possédé, ou le latin uates, le devin (celui qui vaticine) ou encore le woth  qui est l'inspiration poétique en saxon, ont tous cette racine commune.
Cet aspect halluciné se retrouve complétement dans l'esthétisme du film, dans son rythme. Dans la musique. Dans les visions du guerrier silencieux. C'est le monde vu au travers de l'âme d'un dieu, ou plutôt de ce qu'il en reste. 
D'une partie de ce dieu.

En utilisant ce groupe de vikings chrétiens qui pensent atteindre la Terre Promis,  la Terre Sainte, One-Eye sait que pour quitter Midgard il doit renouer avec un peuple dont les dieux primordiaux sont encore vivaces. Ce sera le Vinland.



Les autochtones ne s'y tromperont pas, sa mort sera particulièrement ritualisée, symbolique. Après avoir construit un cairn, lors d'une cérémonie sous hallucinogènes, il sera sacrifié. Cependant une vision juste "après sa mort" nous le montrera prés du cairn s'enfonçant dans l'eau et disparaissant. One-Eye a rejoint le Valhalla.

Si la tribu laisse l'enfant, seul survivant, c'est parce qu'après avoir été la voix de One-Eye, il en incarne maintenant (toujours ?) une facette. Celle qui va inséminer la société étasunienne, celle du tueur fou, du serial Killer.

Ce jeune enfant c'est l'idée de la Chasse Sauvage, la Odinjast. Cette chasse qui s'incarne lors de la fête d'Halloween dont l'un des arrières-plans n'est autre que l'Alfablot, le sacrifice sanglants aux Elfes, pratiqué dans le monde germanique ancien.

Le Berserker et le serial killer ont la même compulsion à l'acte de tuer  et à son plaisir. Le serial killer, c'est en quelque sorte le "guerrier fou" odinique revu est corrigé par le taylorisme et son souci de la productivité.





L'enfant est ce que l'on appellerai aujourd'hui un mème, et c'est pourquoi personne ne le touche à la fin de l'histoire. Il ne partira pas de ce nouveau continent, et tel un virus il contaminera la société étasunienne. 
Les natifs ont compris que la venue de ces hommes avec leur  dieu unique et leur croix, signifiait la fin de leur propre civilisation. Cet enfant c'est le mème du Berserker (ou du Wendigo), ce qui deviendra pour la société moderne, postmoderne devrait-on dire, celui du tueur en série.  

.. Valhalla Rising est aux films de viking ce que Bronson est au film de prison. Ces deux films sortent clairement des sentiers battus. Valhalla Rising est à la fois extrêmement violent, une violence explicite, viscérale (c'est le cas de le dire) et contemplatif, lent. Et terriblement captivant.
Servi par une distribution remarquable, la Nature dans l'un de ses plus beaux rôles ; Valhalla Rising captive et imprime une empreinte durable dans l'esprit.





.. En ce qui concerne le rapprochement entre le Berserker et le serial killer on peut lire Le complexe du loup-garou de Denis Duclos.


Le mème quant à lui est à la civilisation ce que le gène est à l'évolution. C'est un élément de code culturel ; cognitif, symbolique ou pratique, soumis à la sélection naturelle. 
Pour simplifier le mème est une idée qui à l'instar de l'œuf de Samuel Butler qui utilise la poule pour se dupliquer, le mème lui se sert de nous pour se reproduire.

Commentaires

  1. Épatantes observations, je viens tout juste de terminer le film pour lire votre billet par la suite et me voila terassé par la perspicacité de vos propos. J'attends derechef que Valhalla Rising sorte en salle pour le revoir bien imprégnié de cette analyse.

    merci

    RépondreSupprimer
  2. Une analyse très pertinente et qui me donne envie de revoir le film avec un regard neuf. Le complexe du loup-garou est semble-t-il dans ma PAL depuis bien trop longtemps.

    Fan d'étymologie, je me permets d'ajouter cette petite pierre à l'édifice :

    "Odin (du vieux norrois Óðinn) est le dieu principal de la mythologie nordique. Il existe dans la mythologie germanique en général, où il est appelé Wōden en anglo-saxon; Wodan en vieux saxon des Pays-Bas ou Wotan en vieux haut-allemand ou Gaut. Son nom proto-germanique est *Wōdanaz. L'étymologie de son nom fait référence à Ód, et signifie « fureur », aux côtés d' « esprit » et de « poésie », d'où l'allemand Wut (fureur) et le néerlandais woede de même sens. C'est un dieu polymorphe."

    Quant à l'oeil unique :

    "Œil et source[modifier]
    Le sacrifice d'Odin est ainsi raconté par la Gylfaginning :

    Sous la racine dirigée vers les géants du givre se trouve Mimisbrunn, qui recèle la sagesse et l'intelligence. Celui qui possède cette source s'appelle Mimir : il est très savant, car il y boit à l'aide de la corne appelée Giallarhorn. Alfadr vint à la source et demanda à en boire une gorgée, mais il ne l'obtint pas avant d'avoir mis en gage l'un de ses yeux.
    Si ce motif ne connaît pas d'autres manifestations germaniques ou scandinaves, il apparaît à de nombreuses reprises dans les mythes irlandais, et ce la plupart du temps accompagné de l'apparition d'une source d'eau.

    Notamment, dans l'hagiographie de la sainte Brigitte d'Irlande, celle-ci refuse de se marier, ce qui irrite ses frères qui ne veulent pas renoncer à la dot qu'elle est susceptible de rapporter. Ils lui affirment donc que ses yeux, si beaux, ne sauraient rester célibataires. Elle se crève alors brusquement l'œil, afin que personne ne veuille l'épouser. Comme ses frères ne trouvent pas d'eau pour laver la blessure, elle fait jaillir une fontaine du sol23. Dans le Talland Etair, texte irlandais datant probablement du XIe siècle, le druide Aithirne Ailgesach exige du roi borgne Eochaid Mac Luchta, du Connaught, qu’il lui remette son seul œil valide, ce que celui-ci accepte. Alors que le roi lui demande ensuite de l'amener à une source, le druite fait couler trois flux d'eau sur son visage24. Enfin, le motif apparaît également dans le dindshenchas, il a aussi été rajouté dans certains poèmes ayant Sid Nechtain pour héros ou encore dans le Leabhar Breac.

    Dans la plupart des occurrences, donc, la mutilation de l'œil est suivie directement ou non du jaillissement du sol d'un flux d'eau. Cela s'explique peut être parce l'œil est associé à l'eau, en effet, des larmes peuvent en couler, et ses reflets rappellent l'élément aquatique. Pour ces raisons il est possible que dans une version plus ancienne du sacrifice d'Odin, ce soit le don de l'œil qui entraîne l'apparition des eaux de la connaissance."

    Wotan/Odin a sacrifié son oeil pour acquérir la connaissance des runes.

    Notons aussi le parallèle qui est fait entre Jesus/Odin dans Batman : Arkham Asylum de Grant Morrison/Dave McKean.

    Merci pour tes éclaircissements, Arty !

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Triple frontière [Mark Boal / J.C. Chandor]

En même temps qu'un tournage qui devait débuter en 2011, sous la direction de K athryn B igelow, Triple frontière se verra lié à une tripotée d'acteurs bankables : S ean P enn, J avier B ardem, D enzel W ashington. Et même T om H anks. À ce moment-là, le titre est devenu Sleeping dogs , et d'autres noms circulent ( C hanning T atum ou encore T om H ardy). Durant cette période de valses-hésitations, outre M ark B oal au scénario, la seule constante restera le lieu où devrait se dérouler l'action. La « triple frontière » du titre est une enclave aux confins du Paraguay , du Brésil et de l' Argentine , devenue zone de libre-échange et symbole d'une mondialisation productiviste à fort dynamisme économique. Le barrage d' Itaipu qui y a été construit entre 1975 et 1982, le plus grand du monde, produirait 75 % de l’électricité consommé au Brésil et au Paraguay . Ce territoire a même sa propre langue, le « Portugnol », une langue de confluence, mélange d

The Words

... The Words ( Les Mots ) est un film qui avait tout pour me séduire : le roman en tant qu'élément principal, des acteurs que j'aime bien ; D ennis Q uaid, J eremy I rons, J . K . S immons et B radley C ooper. Éléments supplémentaire l'histoire se révèle être une histoire dans l'hisitoire. Ou plus exactement un roman à propos de l'écriture d'un roman, écrit par un autre ; entre fiction et réalité.  Je m'explique. Clay Hammon fait une lecture public de son dernier livre The Words dans lequel un jeune auteur, Rory Jansen , en mal de reconnaissance tente vaille que vaille de placer son roman chez différents éditeurs. Cet homme vit avec une très belle jeune femme et il est entouré d'une famille aimante. Finalement il va se construire une vie somme toute agréable mais loin de ce qu'il envisageait. Au cours de sa lune de miel, à Paris , son épouse va lui offrir une vieille serviette en cuir découverte chez un antiquaire, pour dit-elle qu'

Big Wednesday (John Milius)

Une anecdote circule au sujet du film de J ohn M ilius, alors qu'ils s’apprêtaient à sortir leur film respectif ( La Guerre des Etoiles , Rencontre du Troisième Type et Big Wednesday ) G eorge L ucas, S teven S pielberg et J ohn M ilius  auraient fait un pacte : les bénéfices de leur film seront mis en commun et partagés en trois. Un sacré coup de chance pour M ilius dont le film fit un flop contrairement aux deux autres. Un vrai surfeur ne doit pas se laisser prendre au piège de la célébrité  Un vrai surfeur ne doit pas se sentir couper des siens. Il ne doit pas courir derrière les dollars, ni gagner toutes les compétitions. [..] M idget F arrelly champion du monde de surf 1964  ... Big Wednesday est l'histoire de trois jeunes californiens dont la vie est rythmée par le surf ; on les découvre en pleine adolescence au cours de l'été 1962, et nous les suivrons jusqu'à un certain mercredi de l'été 1974.   L'origine du surf se perd dans la nuit des